A quel âge avez-vous commencé à faire des graffitis ?
J’ai commencé les graffitis à 16 ans environ.
Comment avez-vous appris à graffer ?
J’ai appris avec amis, dans le milieu.
Pourquoi avez-vous commencé les graffitis ?
Le fait de commencer les graffitis m’a permis de m’exprimer librement et c’était pour moi une façon de transgresser la loi.
Que vous apporté le Graffiti en termes d’émotions, de relations ou de développement personnel ?
Le graffiti m’a beaucoup apporté en termes de développement personnel et émotionnel. J’étais en contact avec des personnes qui avaient la même passion dont certaines qui sont devenues des amis plus proches que je vois encore aujourd’hui. On pourrait également dire que je me suis créé pas mal de contacts chez la police. *rire*
Donc vous pensez que le graffiti est quelque chose qu’on n’arrête jamais ou qu’on arrête tout de même petit à petit ?
Le graffiti c’est comme la cigarette. Même quand on pense qu’on a arrêté de pratiquer, on va toujours s’y remettre au bout d’un certain moment. Une personne qui en a fait durant son adolescence reprendra certainement l’activité quelques années plus tard. Ça devient une addiction malgré les amendes qu’on peut recevoir. Le point positif c’est que ce n’est pas une addiction destructrice de soi-même, mais par conséquent destructrice pour les supports comme les trains.
Avez-vous été particulièrement fier d’un projet ou d’un graffiti illégal que vous avez réalisé ?
Le graffiti est quelque chose de très égocentrique. C’est une fierté personnelle car le graffiti est un art anonyme. Si je peux vous donner un exemple, c’est la fois ou j’ai réalisé un graffiti sur un train. Lorsqu’il est passé devant mon école, tous les étudiants étaient impressionnés et se demandaient qui l’avait réalisé. Je ne pouvais que rire intérieurement et j’étais fier de ma création et des réactions que j’avais provoquées.
Dans le monde du graffiti, la confiance est restreinte. On ne peut pas en parler à beaucoup de monde par risque d’être dénoncé. Même à des personnes dans le milieu, il arrive que des artistes dénoncent d’autres graffeurs par trahison dans le but de se protéger eux-mêmes.
Quelles ont été vos plus grandes amendes, conséquences lors d’un graffiti illégal ?
La plus grande amende qu’on m’a donnée était de CHF 12’000.-. J’ai été plusieurs fois en garde à vue. Ce qui a fait que j’ai par la suite manqué un poste de travail à cause de mon casier judiciaire. On peut dire que les problèmes que les graffitis ont générés se sont répercutés sur mon avenir professionnel.
Pour revenir à cette histoire de train qui passait devant mon école, le directeur voulait premièrement me virer car cela aurait pu dégrader la réputation de l’école, malgré que les graffitis n’étaient pas dans l’établissement. Par contre, quelque chose de totalement paradoxal est le fait que les CFF m’ont engagé pour un projet de rénovation de la décoration de leurs locaux.
Comment avez-vous pu changer ce passe-temps illégal en profession et qu’est-ce qui vous a convaincu que vous pouviez en faire un métier ?
Cette idée n’est pas directement venue de moi. Ce sont les opportunités qui sont venues à moi. Une personne qui avait repéré un de mes graffitis m’a laissé un mur à disposition et m’a demandé de le décorer en me laissant carte blanche en échange d’une somme d’argent. Ce qui a lancé un effet boule de neige. L’idée a plu à de nombreuses personnes, j’ai créé mon site internet et de plus en plus de personnes ont commencé à me contacter. C’est donc à la suite de cela que j’en ai fait mon métier.
Vos amis, votre famille, que pensent-ils de vos tags ? Vous ont-ils plutôt soutenu d’en faire votre métier ou était-ce le contraire ?
Lorsque je le faisais de manière illégale, mes parents n’en étaient pas fiers. Mon grand-père haïssait les graffitis jusqu’au jour où j’ai pu gagner de l’argent grâce à cela. J’en conclus que c’est l’aspect financier qui a permis le déclic chez ma famille et mes proches.
Est-ce que le fait de graffer légalement vous enlève le côté « adrénaline » ? Est-ce déplaisant ou est-ce que cela reste intéressant ?
Toute l’adrénaline ! Je continue à évoluer personnellement mais les plaisirs ne sont plus les mêmes mises à part la technique. Du moment qu’il y a de l’argent derrière, je ne considère plus cela comme du graffiti. Mais cela reste bien entendu toujours intéressant sur d’autres niveaux.
Quand on vous fait une commande sur mesure, quel type d’œuvre préférez-vous réaliser ?
J’aime beaucoup graffer pour des enfants qui veulent par exemple leur prénom sur le mur de leur chambre. C’est ce qui se rapproche le plus de mon style quand j’avais commencé.
Mais en général, les restrictions ne sont pas un problème, c’est toujours pour moi un plaisir de répondre aux attentes des clients. J’aime avoir un thème avant de me lancer dans la réalisation, puis travailler avec le client afin qu’il soit aussi satisfait que possible.
Je considère qu’une personne qui voudrait en faire son métier mais qui s’attend à être totalement libre dans ses réalisations n’est pas encore prête à le pratiquer professionnellement. On ne peut pas faire ce dont on a envie et quand on a envie.
L’autre possibilité d’en faire mon métier serait les toiles mais cela ne m’intéresse pas pour le moment.
Que pensez-vous des murs légaux mis à disposition pour les artistes, comme à Lausanne par exemple ?
Ces murs à disposition pour les graffitis sont bien. Avec ou sans thème imposé, l’idée est très intéressante. Du moment que l’on propose à des gens de s’exprimer sur un support librement c’est quelque chose de bien. Mais il faut savoir que ce qui fait vivre le graffiti est le fait d’en avoir un peu partout et pas seulement dans une ruelle. Tous les artistes ne vont pas profiter de cette opportunité car certains aiment vraiment le côté illégal de cette activité. Leur but n’est pas de faire de l’art mais de marquer les esprits. Si les graffitis n’étaient pas illégaux à la base, cela ne m’aurait jamais intéressé. C’est le côté challenge et adrénaline qui attire.
Un autre désavantage avec ces murs est le fait que nos graffitis sont vites recouverts par d’autres graffitis qui peuvent être sans intérêts.
Est-ce que les Suisses sont en général tolérants ou ouverts d’esprit par rapport au street art ?
Par rapport aux lois, la Suisse est encore assez correcte. Tandis qu’à Londres ou au Danemark, qui est totalement contre le graffiti, on risque plus facilement d’être mis en prison, au Portugal on se fait simplement arrêter etc.
Par rapport aux mentalités, je pense que les Suisses sont assez ouverts d’esprit. Ils apprécient cette forme d’art mais ne veulent pas forcément y être mêlés. Je veux dire par là que pas tout le monde aimerait un tag chez lui, sur un de ses murs ou sur sa porte de garage sauf s’il fait une demande à un professionnel.
Ce qui change vraiment est la manière dont les gens voient les choses. Certaines personnes vont penser que du moment que l’action est illégale, on va trouver cela laid. Cela à cause des clichés sur le graffiti. Les gens confondent l’aspect esthétique et l’aspect juridique.
Il y a juste une confrontation entre le juridique et l’esthétique. Par exemple dès que c’est légal, on considère que c’est joli alors que si le graffiti est illégal, c’est un graffiti sans intérêt.
Selon vous, est-ce qu’un jour, les autorités et les artistes pourront être sur la même longueur d’onde ?
Oui, c’est possible. Le monde est de plus en plus ouvert. Il y a de plus en plus de nouveautés qui plaisent aux gens, comme les cours que j’ai mis en place pour les enfants pour les anniversaires. Des activités de ce type peuvent changer les mentalités. Cela permet une évolution dans le monde du graffiti.
De plus, les communes commencent petit à petit à trouver une utilité à ces artistes. On m’a par exemple demandé de réaliser des passages piétons en 3D. C’était un mandat demandé par une commune en Belgique. Nous ne sommes peut-être encore pas prêts en Suisse mais cela viendra avec les temps, on commence déjà à voir des changements dans les grandes villes alémaniques.
Le street art va-t-il continuer d’évoluer ? La relève est-elle assurée ?
Oui la relève est assurée. Ce n’est pas un mouvement de mode, c’est une passion qui avance avec le temps.
Interviews
Synthèse – Graffeur professionnel – Philippe Baro
Malgré nos inquiétudes pour trouver un graffeur qui accepterait de s’exprimer librement et, pourquoi pas, de manière non-anonyme sur sa pratique, nous avons eu la chance d’interviewer, le 9 novembre, le graffeur Philippe Baro. Cet artiste a commencé à faire des graffitis illégalement vers 16 ans comme la généralité des graffeurs. Mais aujourd’hui, il en a fait son métier. Des personnes l’ont repéré et il a petit à petit eu des mandats.
Il a appris seul et avec des amis. Mais il nous dit que dans ce milieu, il est difficile de faire confiance étant donné que l’on peut être dénoncé par d’autres graffeurs à tout moment. Il nous relève sur le coup que le fait que le graffiti est quelques choses de très égocentrique car on ne peut pas partager ouvertement ce qu’on a fait où le montrer. Il y aurait de grands risques de se faire dénoncer.
Avant cela, il a reçu énormément d’amendes et a dû faire des heures de garde à vue. Philippe Baro a même été menacé de se faire virer de son école quand il était jeune, juste sous l’excuse que la réputation de cette école risquait d’être détruite. Il n’a également pas pu être engagé pour une place de travail dû à ces actes. Bien entendu, tout cela s’est arrangé maintenant.
Cet artiste trouve intéressant cette proposition de mur légal. Mais selon lui, certains graffeurs seront en manque d’adrénaline et le monde du graffiti n’est pas uniquement une ruelle mais plutôt plusieurs graffitis répandus partout dans les lieux. Ce qui déplait aux autorités. Une réflexion qui a amené l’artiste à proposer de montrer un nouveau point de vue à la nouvelle génération, pour qu’elle prenne connaissance du côté artistique plutôt que l’illégal. Pour ce fait, il organise des anniversaires, des activités avec des enfants, … Il y a également les communes qui font de plus en plus appel aux graffeurs dans leur ville, pour des œuvres comme des passages piétons en 3D.
Pour conclure, il est optimiste pour l’avenir du graffiti car le monde commence graduellement à s’ouvrir et le graffiti n’est pas une mode, c’est une passion qui ne s’arrête pas. Il la compare à la cigarette. Ce qui nous ramène à une citation de la part du célèbre graffeur TAKI183(1970) Jamais je ne m’arrêterai, j’aurai toujours un marqueur sur moi !».
C’est une addiction, un graffeur qui graffait adolescent a de forte chance de ressortir ses bombes des années plus tard et de se remettre sur le terrain. Ce qui affirme bien qu’il faut absolument trouver une solution qui conviendra à toutes les personnes concernées étant donné que c’est une activité qui n’est pas prête de s’arrêter.